Camille Richert
Observer les représentations du travail dans l’art contemporain occidental révèle un phénomène singulier : la prise en charge de l’espace social dans l’espace des représentations emprunte certaines esthétiques, qui ont pour point commun d’avoir créé une différence d’un degré avec le réel [Pollock 1988/2003].
Après l’humanisme photographique nord-américain et ouest-européen qui documenta autant qu’il déplora les conditions de vie de la main-d’œuvre populaire de la deuxième Révolution industrielle [Sontag 1978], après l’enthousiasme mécanophile commun aux impressionnistes, aux futuristes comme aux réalistes socialistes occidentaux, le registre de représentation des corps au travail changea à partir de la fin des années 1950. On se mit non plus à louer le « progrès » des sociétés industrialisées grâce à ses prouesses laborieuses, ni même à déplorer ses effets délétères sur la main-d’œuvre : on se mit à le pasticher.
Autrefois célébrées, ces métonymies du corps au travail que sont les machines commencèrent à être désacralisées (Pop art) ou inquiétées (Nouveau réalisme) : les outils du monde moderne et les produits du travail étaient réduits à des biens de consommation bientôt promis au statut de déchets. Au même moment, en Amérique du Nord, les artistes réagissaient à une mutation de l’économie, qui arriverait bientôt en Europe : le développement des services et la dématérialisation du travail [Molesworth 2003]. De la fin des années 1960 à la fin des années 1990, les artistes se mirent à singer le travail. Les esthétiques du moteur [Rabinbach 1992], de l’administration [Buchloh 1990] ou du silence [Sontag 1967] furent employées par ces artistes pour signifier leur (res-)sentiment envers les mondes du travail : des mondes devenus si absurdes qu’on ne peut les saisir qu’en les parodiant et les tournant en dérision.
Camille Richert est historienne de l’art. Elle est diplômée de l’École normale supérieure de Lyon en histoire contemporaine (2013) et docteure en histoire de l’art contemporain de l’Institut d’Études Politiques de Paris (2021). Ses travaux s’inscrivent dans le champ de l’histoire sociale de l’art. Elle a mené ses recherches doctorales sur les représentations du travail dans l’art contemporain depuis 1968. Chercheuse associée au CHSP et chargée d’enseignement à Sciences Po, elle a auparavant travaillé à Lafayette Anticipations (2014-2018) en tant que responsable des éditions. Elle a également été responsable du Prix Sciences Po pour l’art contemporain (2017-2020)
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